Le CBD au volant.

 

 

La consommation de CBD en France est légale, mais pose des problèmes juridiques en droit routier.

Bon nombre d’automobilistes pensent en toute sincérité pouvoir consommer ce produit et prendre le volant après.

La réalité est plus complexe.

Explications.

1. Qu’est-ce que le CBD ?

Le CBD est une molécule qui appartient à la famille des cannabinoïdes.

La famille des cannabinoïdes que l’on retrouve dans les plantes et les feuilles de chanvre regroupe 5 molécules naturelles, à savoir :

  • le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), qui provient du cannabis.
  • le cannabidiol (CBD)
  • le cannabinol (CBN)
  • le cannabigérol (CBG) et
  • le cannabichromène (CBC).

Toutes ces molécules activent des récepteurs cannabinoïdes présents dans le corps et agissent sur le cerveau ainsi que sur le système nerveux, mais pas dans les mêmes proportions.

La consommation de CBD va révéler des traces de THC, mais dans des proportions infimes alors que la consommation de cannabis va révéler des traces de THC beaucoup plus importantes.

En France, la consommation de cannabis est interdite, car le THC, que l’on retrouve dans les fleurs de chanvre, a des effets psychotropes.

À l’inverse, le CBD que l’on retrouve dans les plants de chanvre n’a pas d’effet psychotrope : sa consommation est donc autorisée.

Pour autant, le droit français a du mal à appréhender la problématique consistant à différencier les deux.

On a donc assisté à une véritable saga judiciaire qui n’est pas finie.

 

2. Le CBD devant les tribunaux : la saga judiciaire.

 

a) Acte 1 : Le CBD face à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

La cour d’appel d’Aix en Provence devait apprécier la légalité de l’article 1 de l’arrêté du 22 août 1990 qui limite la culture, l’importation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante.

Cela interdisait de facto l’importation et la commercialisation de l’huile de cannabidiol (CBD) obtenue à partir de plantes entières de chanvre et servant à la fabrication des cigarettes électroniques.

Cet article 1 semblait en effet contraire au droit européen.

La CJUE a considéré que l’huile de CBD n’était pas un produit stupéfiant.

Le droit européen étant notamment articulé autour de la liberté de circulation des marchandises, le droit français ne pouvait donc interdire la commercialisation de la plante de chanvre.

La CJUE pose cependant un garde fou en précisant qu’une telle interdiction reste possible, mais dans la mesure du strict nécessaire et uniquement sur des considérations avérées de santé publique.

DONC la culture de la plante de chanvre est légale à condition toutefois de ne pas dépasser un seuil en THC de 0,3% en application de l’article 1 de l’arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique.

 

b) Acte 2 : La position de la Cour de Cassation.

Sans réelle surprise, la Cour de cassation va se référer à l’arrêt de la CJUE pour légaliser un peu plus la commercialisation du CBD.

Dans un arrêt du 23 juin 2021, la cour de cassation :

  • rappelle que le droit européen s’oppose à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre état membre
  • rappelle aussi que seuls des impératifs liés à la santé publique permettraient une telle interdiction dans la limite de ce qui est strictement nécessaire.

La Cour de cassation censure ainsi un arrêt de la Cour d’appel au motif que les juges d’appel doivent vérifier, en cas de substances contenant du CBD, si celles-ci n’ont pas été légalement produites dans un autre état membre, auquel cas le prévenu ne pourrait être condamné, car l’infraction n’est pas constituée (principe de liberté de circulation oblige !)

Cela signifiait donc que la commercialisation et la consommation de CBD étaient légales, dès lors que celui-ci provenait de plantes cultivées sur le territoire européen en application du principe fondamental de la liberté de circulation.

Voir Cour de cassation, arrêt du 23.06.2021, n° 21-84.212.

c) Acte 3 : le CBD face à la règlementation française.

Le 30 décembre 2021 est publié au journal officiel un arrêté pris en application de l’article R 5132-86 du Code de la santé publique tel qu’il était rédigé à l’époque.

Aux termes de cet arrêté, la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre, de même que leur détention et/ou leur consommation sont interdites.

Coup d’arrêt donc pour le CBD qui découle de facto de la culture de la fleur et des feuilles de chanvre.

 

d) Acte 4 : le CBD face au conseil constitutionnel.

Le conseil constitutionnel  qui était saisi par le conseil d’état d’une question prioritaire de constitutionnalité, devait se prononcer sur la notion de stupéfiants.

Dans un arrêt du 7 janvier 2022, le conseil constitutionnel affirme que les produits à base de CBD, y compris donc la fleur, n’entrent pas dans la définition des produits stupéfiants.

La haute juridiction considère en effet que les produits à base de CBD n’entrainent aucune dépendance ni aucun effet nocif pour la santé du consommateur.

Tous les produits à base de CBD qui ne dépassent pas la teneur de 0,3 % en THC ne sont donc pas des produits stupéfiants et sont donc autorisés.

Voir Conseil Constitutionnel, 07 janvier 2022, n° 2021-960

 

 

e) Acte 5 : le CBD face au Conseil d’état.

 

Le Conseil d’Etat s’est penché très précisément sur le paragraphe 2 de l’article 1 de l’arrêté du 30 décembre 2021 qui disait :

« II. – Les fleurs et les feuilles des variétés mentionnées au I ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre. Sont notamment interdites la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.
L’achat de fleurs et de feuilles de chanvre produites sur le territoire français fait l’objet d’un contrat écrit entre producteur et acheteur. Le contrat comporte des informations sur le volume et le prix des produits. Le contrat peut comporter des informations sur la qualité attendue des produits. Le contrat est conclu avant le début de la campagne de production. »

 

Le Conseil d’Etat est intervenu à deux reprises sur ce dossier :

 – il a dans un premier temps suspendu l’arrêté du 30 décembre 2021 ;

 – il a dans u second temps annulé cet arrête.

 

e1 – La suspension de l’arrêté du 30 décembre 2021.

 

Le Conseil d’état était saisi par l’Union des professionnels du CBD qui réclamait la suspension de l’arrêté du 30 décembre 2021 dont l’article 1 concernant l’application de l’article R 5132-86 du code de la santé publique.

La haute juridiction administrative fait droit à cette requête et suspend provisoirement l’arrêté en question;

Voir Conseil d’Etat, 24 janvier 2022, n° 460055.

ATTENTION : il ne s’agit là que d’une suspension provisoire.

Le Conseil d’état a également été saisi d’un recours pour excès de pouvoir visant à obtenir l’annulation pure et simple de cet arrêté.

La motivation retenue par celui-ci est intéressante, il énonce expressément :

« li ne résulte pas de l’instruction, à la date de la présente ordonnance, que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation, cette teneur étant d’ailleurs celle retenue par l’arrêté contesté lui-même, au I de son article 1er, pour caractériser les plantes autorisées à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale. »

 

e2 – L’annulation de l’arrêté du 30 décembre 2021.

 

Dans un arrêt du 29 décembre 2022,  le Conseil d’État annule le paragraphe 2 de l’article 1 de l’arrêté du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %.

La haute juridiction administrative relève que :

  • le CBD (cannabidiol), qui n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, ne peut être considéré comme un produit stupéfiant ;
  • Il n’est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC comporterait des risques pour la santé publique.

 

Par conséquent, le Conseil d’Etat dit que l’on ne peut interdire leur commercialisation et/ou leur consommation.

 

Fin de la saga judiciaire !

 

 

3. La question que vous vous posez.

D’où vient cette règle des 0,3 % ?

La teneur en THC est autorisée à hauteur de 0,3 % depuis un vote du parlement européen sur la politique agricole commune qui a fait passer le taux de 0,2 à 0,3 %.

On retrouve désormais cette règle à l’article 1 de Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique.

Au delà-de ce taux, vous basculez dans les produits stupéfiants !

 

4. Le risque juridique.

 

Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 29 décembre 2022, la consommation de CBD est donc légale.

Il n’y a plus de discussion à avoir à ce sujet.

Mais encore faut il prouver que le taux de THC révélé dans votre salive ou votre sang provient de la consommation de CBD et non de cannabis !

 

La consommation de feuilles et fleurs de chanvre, et donc de CBD, fait courir à l’automobiliste un risque sur son permis de conduire et sur son casier judiciaire.

En effet, le risque est que lorsque la présence de THC est révélée dans votre salive ou votre sang, vous soyez considéré(e) comme ayant conduit sous l’emprise de produits stupéfiants (alors que le CBD n’est pas un produit stupéfiant).

D’où des ennuis qui vous tomberont dessus en cascade :

  • vous ferez tout d’abord l’objet d’une rétention immédiate de votre permis de conduire par les forces de l’ordre ;
  • puis le préfet suspendra votre permis de conduire pour une durée de plusieurs mois ;
  • vous ferez ensuite l’objet de poursuites pénales et risquerez une condamnation (prison avec ou sans sursis, annulation et/ou suspension judiciaire de votre permis de conduire, confiscation de votre véhicule, amende.)
  • enfin, et pour couronner le tout, l’administration vous retirera 6 points sur votre permis de conduire.

 

5. Le problème juridique.

Le dépistage de produits stupéfiants est prévu par l’arrêté du 13 décembre 2016.

Rappelons que les opérations de contrôles se déroulent en plusieurs étapes :

– un dépistage salivaire est tout d’abord effectué ;
– si ce dépistage est positif, on procède à un prélèvement salivaire ;
– le représentant des forces de l’ordre doit vous demander si vous souhaitez vous réserver le droit de faire une contre analyse ;
– si vous demandez une contre analyse, vous êtes alors emmené(e) en milieu hospitalier pour effectuer une analyse sanguine.

Le problème juridique va venir de la formulation particulièrement malheureuse de l’article 5 qui dispose que « Le prélèvement salivaire ou sanguin, prévu aux articles R. 235-5 et R. 235-6 du code de la route, est destiné à la recherche et à la confirmation de la présence d’un ou plusieurs produits stupéfiants « 

De ce fait, le laboratoire qui procède à l’analyse du prélèvement salivaire se contentera de confirmer la présence d’un ou plusieurs produits stupéfiants, mais sans indiquer le taux trouvé.

Il faut pourtant savoir que l’analyse d’un prélèvement salivaire doit respecter les seuils minima de détection, à savoir notamment 1 ng/ml de salive en ce qui concerne le THC.

Le problème juridique résidera donc entre la différenciation à opérer entre la consommation de CBD et celle de cannabis puisque tous deux révèleront la même molécule alors que :

  • le cannabis est considéré comme un produit stupéfiant et donc sa consommation est interdite ;
  • le CBD n’est pas un produit stupéfiant et sa consommation est légale.

Je rappelle ici ce qui est dit plus haut : le THC est révélé après consommation soit de cannabis soit de CBD, mais pas dans les mêmes proportions.

Or, les laboratoires qui procèdent aux analyses des prélèvements salivaires n’indique pas le taux de THC trouvé, mais uniquement la présence ou non de cette molécule.

De ce fait, on ignore si la présence de THC est due à de la consommation de CBD (légal) ou de la consommation de cannabis (illégal)

C’est ici que réside le problème juridique et le piège pour l’automobiliste car celui-ci sera poursuivi pour usage de stupéfiant au volant alors qu’il a pu consommer du CBD.

Et son permis de conduire sera suspendu dans la foulée par le préfet !

 

6. Comment réagir ?

Vous faites l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre.

Celles-ci procèdent à un dépistage salivaire puis à un prélèvement salivaire pour confirmer ou non la présence de produits stupéfiants.

Sur la notion de conduite sous stupéfiants et ses conséquences, voyez notre article : La conduite sous l’emprise de produits stupéfiants.

Voici donc quelques conseils pour vous en sortir au mieux :

  • si vous êtes consommateur de CBD, conservez toutes les factures d’achat, celles-ci vous serviront devant le tribunal.
  • demandez absolument une contre-expertise.

Celle-ci prendra la forme d’une analyse sanguine.

Vous serez conduit(e) à l’hôpital par les forces de l’ordre.

Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas de temps perdu, car cela vous permettra de soulever ultérieurement des exceptions de nullités devant le tribunal afin de faire annuler toute la procédure.

Qui plus est, cette contre-expertise pourra révéler des éléments en votre faveur que ne vous apporterait pas un simple prélèvement salivaire.

  • Rendez-vous spontanément dans un laboratoire et demandez à faire tous les examens permettant de faire la distinction entre la présence de THC issu de la consommation de CBD et celle issue d’une consommation de cannabis.

Sur la base de ces examens et du certificat médical qui en résultera, vous pourrez vous défendre devant le tribunal pour y obtenir votre relaxe.

La consommation de CBD est une question épineuse en droit routier.

Les enjeux sont importants pour votre permis de conduire.

Il ne faut pas croire que l’intervention des plus hautes juridictions françaises (Cour de cassation, Conseil d’état, Conseil constitutionnel) a réglé tous les problèmes et une défense se prépare en amont.

Certains tribunaux correctionnels prononcent encore des condamnations et la bataille se mène souvent devant les Cours d’appel.

 

REINS Didier
Avocat
17d, rue de Molsheim
67000 STRASBOURG
Tel : 03 88 32 42 15
Mail : reins.avocat@gmail.com
Site Web : https://reinsdidier-avocat.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *