Procédure fiscale : le juge compétent peut en cacher un autre.

 

perquisitions et saisies fiscales

 

La procédure fiscale recèle des curiosités juridiques.

Dans une affaire singulière, jugée le 16 avril 2013, la Cour de Cassation a affirmé l’exclusivité d’un magistrat pour trancher un litige et a confié la même affaire à un autre magistrat.

Il fallait oser….

 

1. Les faits.

L’affaire concernait un groupe de sociétés de travail temporaire.

Ce groupe avait des agences et filiales en France, au Luxembourg et en Pologne.

La branche française de ce groupe disposait de plusieurs dizaines d’agences réparties partout en France.

L’administration fiscale soupçonnait la branche française et la branche luxembourgeoise de se livrer à de la fraude fiscale.

L’administration fiscale envisagea alors d’appréhender tous documents propres à confirmer ou d’infirmer ses soupçons.

Elle mis en oeuvre la procédure fixée à l’article L 16B du code de procédure fiscale.

 

2. La procédure permettant les perquisitions et saisies fiscales.

L’article L 16B du Livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale de demander au Juge des Libertés et de la Détention de l’autoriser à pénétrer dans les locaux d’une société ou au domicile de ses représentants pour y saisir tous documents nécessaires.

Pour lire le texte intégral de l’article L16B du livre des procédures fiscales, cliquez sur CE LIEN.

Le droit français appelle cela des  » visites  » alors qu’il s’agit là de véritables perquisitions.

Le dépôt de cette demande n’est pas porté à la connaissance du contribuable .

Il n’y a donc aucun débat devant le Juge entre  l’administration fiscale et le justiciable.

Dans 99,99 % des cas, le Juge des Libertés et de la Détention fait droit à cette requête.

Il rend alors une ordonnance autorisant l’administration fiscale à « visiter » le contribuable et à effectuer toutes saisies nécessaires.

Malheureusement, le juge reprendra souvent mot pour mot les motifs contenus dans la requête rédigée par l’administration fiscale.

Cet usage du « copier coller  » judiciaire n’a pas choqué la Cour de Cassation car sa jurisprudence y est favorable…

L’administration fiscale se présentera ensuite sur place pour démarrer ces opérations de visites et de saisies.

Cette  » spontanéité  » fiscale permet d’éviter qu’un contribuable ne profite d’un délai entre la signification de l’ordonnance du Juge et le début des opérations de visites, pour faire disparaître des documents compromettants.

Les choses se compliquent quand l’administration fiscale doit mener ses visites en différents endroits.

La présente affaire montre l’écueil sur lequel s’est échouée la Cour de Cassation.

 

3. Retour aux faits et données juridiques.

L’administration fiscale entendait pratiquer des visites et saisies au siège français d’un groupe de société de travail intérimaire et dans les différentes agences françaises à savoir :

  • Forbach.
  • Strasbourg.
  • Colmar.
  • Mulhouse.
  • Metz.
  • Sarreguemines.

Pour cela, l’administration fiscale a donc saisi le Juge territorialement compétent, à savoir :

  • Metz pour l’agence de Forbach.
  • Sarreguemines pour l’agence de Sarreguemines.
  • Strasbourg pour l’agence de Strasbourg.
  • Colmar pour l’agence de Colmar.

Lorsque le contribuable se voit notifier l’ordonnance du juge, celui-ci dispose d’un recours devant le Premier Président de la Cour d’appel.

C’est ce que n’a pas manqué de faire la branche française du groupe de sociétés, qui a introduit un recours contre chacune de ces ordonnances devant le Premier Président de la Cour d’appel:

  • de Colmar en ce qui concerne les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Strasbourg et Colmar.
  • de Metz en ce qui concerne les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Metz, Forbach et Sarreguemines.

Rappelons que le Juge des Libertés et de la Détention et le Premier Président de la Cour d’appel, sont des magistrats de l’ordre judiciaire et non de l’ordre administratif.

Les règles de compétence sont donc celles fixées par le code de procédure civile et non le code de justice administrative.

En l’espèce, les recours ont été introduits devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar quelques heures avant ceux introduits devant le Premier Président de la Cour d’appel de Metz.

Colmar a donc été saisi en premier et Metz en second.

Or :

L’article 100 du Code de Procédure Civile dispose :
 » Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office. »

L’article 103 du Code de Procédure Civile dispose :
 » L’exception de connexité peut être proposée en tout état de cause… »

Le hasard du calendrier judiciaire a fait que le Premier Président de la Cour d’appel de Metz a fixé audience avant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar.

Le groupe de sociétés a déposé devant le Premier Président de la Cour d’appel de Metz des conclusions pour faire renvoyer cette affaire devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar en application des articles 100 et 103 du code de procédure civile.

En effet, les litiges introduits devant la Cour d’appel de Metz et de Colmar opposaient les mêmes parties et pour les mêmes faits.
Il était logique qu’un seul magistrat se prononce sur ces recours en raison de la connexité évidente entre ces affaires.

Il était aussi nécessaire d’éviter une contrariété de décisions.
En effet, le Premier Président de la Cour d’appel de Metz aurait très bien pu décider d’accueillir le recours du groupe de sociétés et d’annuler les ordonnances rendues par le Juge de Metz et Sarreguemines, tandis que le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar aurait pu faire droit à la position de l’administration fiscale en validant les ordonnances rendues par le Juge de Strasbourg et Colmar.
Il y aurait eu là un cas de contrariété de décisions inexplicable car un magistrat aurait dit que la requête présentée par l’administration fiscale était infondée tandis que l’autre aurait dit que celle-ci était fondée.

Par ordonnance du 23/03/2012, le Premier Président de la Cour d’appel de Metz a fait droit à l’argumentation du contribuable et s’est déclaré incompétent pour connaître de cette affaire, en raison du lien de connexité ci-dessus évoqué.

L’affaire a donc été renvoyée devant le premier président de la Cour d’appel de Colmar, saisi en premier.

L’administration fiscale a introduit un pourvoi en cassation à l’encontre de l’ordonnance.

 

4. Le problème posé à la Cour de cassation.

La Cour de Cassation avait conscience du caractère inédit de la question posée et des enjeux importants qui en découlaient.
Celle-ci a réuni ses troupes au grand complet en statuant en formation de section, c’est-à-dire de manière on ne peut plus solennelle.
Pareille formation est composée de 16 magistrats là où les affaires dites standards sont jugées par 3 magistrats .

La motivation retenue par la haute juridiction est particulièrement intéressante et mérite d’être reprise intégralement :
« Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par un Premier Président de Cour d’appel, que le 12/10/2011, le Juge des Libertés et de la Détention du tribunal de grande instance de (Metz/Sarreguemines/Forbach) a, sur le fondement de l’article L 16B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents des impôts à procéder à une visite avec saisies dans les locaux et dépendances de la société XXX, afin de rechercher la preuve de la fraude fiscale de cette société au titre de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée ;
Que, saisie de l’appel des sociétés XXXX Luxembourg et XXX France, le Premier Président a ordonné le renvoi de la procédure devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar ;
Attendu que les dispositions de l’article L 16B du livre des procédures fiscales qui attribuent compétence exclusive au Juge des Libertés et de la Détention dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, et, sur appel, au Premier Président de la Cour d’appel, n’autorise aucune possibilité de dessaisissement pour connexité des recours institués par ce texte ;
Attendu que, pour accueillir l’exception de connexité soulevée devant lui, et renvoyer devant un autre Premier Président de Cour d’appel, l’examen de l’appel formé contre l’autorisation de visite et de saisies, le Premier Président retient que, si l’article L16B institue une règle de compétence du Juge des Libertés et de la Détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, ce même texte soumet la procédure aux règles prévues par le code de procédure civile ;
Attendu qu’en statuant ainsi, le Premier Président a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés. »

La Cour de Cassation a donc annulé l’ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel de Metz au motif que celui-ci était exclusivement compétent.

Mais… la Cour de Cassation décide de renvoyer le dossier devant la Cour d’appel de… Nancy !!!

Comprenne qui pourra !

 

5. Appréciation et critiques de la solution retenue par la Cour.

Pour bien comprendre l’implosion des règles de compétences judiciaires et procédurales, on reprendra un par un les arguments avancés par la Cour de Cassation.

La Cour de Cassation a été  gênée par la question posée puisque sa motivation réside  en un paragraphe particulièrement lapidaire.

La Cour de Cassation n’a pas pris de gants avec le Premier Président de la Cour d’appel de Metz, puisque celle-ci n’a même pas pris le soin de le désigner.
« Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par un Premier Président de Cour d’appel.. »

Le langage judiciaire sait dire certaines choses, avec  beaucoup de vocabulaire, mais ses silences sont parfois encore plus évocateurs.

Et lorsque l’on désigne un haut magistrat  par les termes « un Premier Président de Cour d’appel« , il y a là une forme de remontrance particulièrement sourde.

Mais le fond est plus intéressant encore.

La Cour de Cassation commence par reconnaître que la procédure instituée à l’article L16B relève bien du juge judiciaire.
« Attendu que les dispositions de l’article L16B du livre des procédures fiscales qui attribuent compétence exclusive au Juge des Libertés et de la Détention dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, et, sur appel, au Premier Président de la Cour d’appel… »

La Cour pose ensuite un régime procédural spécifique à ce type de contentieux par exclusion.
Attendu que les dispositions de l’article L 16B du livre des procédures fiscales …n’autorisent aucune possibilité de dessaisissement pour connexité des recours institués par ce texte « 

Il ne lui en était pourtant pas demandé tant !

Cette solution est contraire au Code de Procédure Civile.

En effet, le renvoi pour cause de connexité s’applique à toutes les procédures pendantes devant le Juge judiciaire et donc aussi devant le 1er Président de la Cour d’appel.
En excluant l’application de l’article 100 du Code de Procédure Civile, la Cour de Cassation tisse les contours du régime applicable à l’article L 16B, alors que cette disposition ne prévoit pas la mise en place d’un régime d’exception.

Mais, la Cour de Cassation a omis, dans son empressement à vouloir donner raison à l’administration fiscale, de dire par quoi elle allait remplacer le Code de Procédure Civile !

La Cour de Cassation n’a pas à dire quelles règles du Code de Procédure Civile lui conviennent et lesquelles doivent être bannies.

De deux choses l’une :

  • soit le code de procédure civile s’applique dans toutes ses dispositions et la cour doit veiller à son respect par toutes les juridictions,
  • soit il ne s’applique pas du tout et la Cour doit alors nous dire ce qui vient le remplacer…

C’est sans doute pour éviter la critique dite du « gouvernement des juges » que la Cour a préféré rester discrète sur cette question.

Il est donc regrettable de rester sur une telle omission.

Mais le plus beau est à venir.

Car nous allons à présent toucher la définition même du mot « paradoxe »

 

6. Le paradoxe retenu par la Cour.

La Cour nous explique qu’en matière de contentieux fiscal, chaque 1er Président de chaque Cour d’appel est exclusivement compétent pour les litiges relevant de son ressort, à l’exclusion de tout autre.
Soit !

Mais alors, le 1er Président de la Cour d’appel de Metz était seul compétent pour les recours contre les ordonnances rendues par le Juge de Metz, Forbach et Sarreguemines.
La Cour de Cassation aurait dû appliquer sa propre décision et renvoyer à nouveau le dossier à Metz devant le même premier président.

Contre toute attente, la Cour de Cassation renvoie le dossier au 1er Président de la Cour d’appel de… Nancy qui n’en demandait pas tant.

Autrement dit, la juridiction de Nancy va donc devoir juger un litige que seule peut connaître la juridiction de Metz.

Merci à la Cour de Cassation pour cet exercice d’équilibriste et de grand écart cumulés.

Il y aura cependant une explication qui servira de lot de consolation.

L’explication tient à une question de procédure :
Lorsque la Cour de Cassation casse un arrêt rendu par une Cour d’appel, elle ne rejuge pas l’affaire au fond.
Elle doit seulement dire si les juges de la Cour d’appel ont ou non appliqué le droit correctement et donc :

  • si les juges de la Cour d’appel ont correctement appliqué le droit, la Cour de Cassation rejette le recours formé devant elle.
  • si les juges de la Cour d’appel n’ont pas correctement appliqué le droit, elle casse leur décision et renvoie l’affaire devant une autre Cour d’appel afin que celle-ci juge définitivement le dossier.

En l’espèce, la Cour de Cassation a cassé l’ordonnance rendue par Monsieur le Premier Président de la Cour d’appel de Metz et a renvoyé cette affaire devant une autre Cour d’appel comme cela est prévu par le code de procédure civile.

Il s’agit là de la seule explication possible, même si celle-ci reste paradoxale.

Il est  curieux de casser une ordonnance rendue par la Cour d’appel de Metz au motif que la Cour d’appel de Metz serait seule compétente pour connaître dudit litige et de le renvoyer devant la Cour d’appel de Nancy…

Il y a donc là une curiosité juridique que ni le livre des procédures fiscales ni le code de procédure civile n’avaient envisagée.

Les règles du droit fiscal et les règles de la procédure civile ne font donc pas toujours bon ménage.

 

 

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