Les poursuites pour non-désignation du conducteur.

 

 

Les entreprises disposent parfois de véhicules mis à la disposition de leurs salariés.

Depuis le 1er janvier 2017, les employeurs ont l’obligation de dénoncer leurs salariés lorsque ceux-ci commettent une infraction au Code de la route avec un véhicule de société.

S’ils ne le font pas, ils s’exposent à des poursuites et une amende importante pour une autre infraction : la non-désignation du conducteur.

 

1. Le socle légal de l’infraction de non-désignation.

2. Le montant de l’amende pour non-désignation.

a) l’amende pour non-désignation envoyée au représentant légal de la société.

b) l’amende pour non-désignation envoyée à la société.

3. La désignation du conducteur : comment s’y prendre ?

4. Les problèmes juridiques.

a) problème d’identification de la personne pénalement responsable.

b) un problème d’application de la loi sur le point précis de la désignation.

5. La position stricte de la Cour de cassation.

6. Moyens de défense.

7. Conclusion.

 

1. Le socle légal de l’infraction de non-désignation.

 

L’article L 121-6 du Code de la route dispose :
« Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer… à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule…
Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe. »

 

2. Le montant de l’amende pour non-désignation.

Là, il faut bien distinguer entre :

  • l’amende envoyée au représentant légal de la société
  • l’amende envoyée à la société elle-même.

 

a) l’amende pour non-désignation envoyée au représentant légal de la société.

Le montant de l’amende pour non-désignation est celui prévu pour les infractions de la 4eme classe.

Il est donc, par application de l’article 131-13 du Code pénal de :

  • 675,00 euros : il s’agit là du montant forfaitaire.
  • 450,00 euros : il s’agit là du montant minoré si vous réglez votre amende dans le délai de 15 jours, et même 30 jours en cas de paiement dématérialisé
  • 1875,00 euros : il s’agit là du montant majoré si vous n’avez pas réglé dans les délais requis.

 

b) l’amende pour non-désignation envoyée à la société.

Les amendes prononcées contre des personnes morales (sociétés) sont multipliées par 5 !

C’est l’effet de l’article 530-3 du Code de procédure pénale qui dispose que « lorsque les amendes forfaitaires, les amendes forfaitaires minorées et les amendes forfaitaires majorées s’appliquent à une personne morale, leur montant est quintuplé. »

Si le procès-verbal est ainsi dressé contre votre société, l’amende sera 5 fois plus importante.

Et bien entendu, on a constaté que les amendes pour non-désignation sont le plus souvent envoyées à la société plutôt qu’à son représentant légal…

Les montants prévus sont donc particulièrement élevés et peuvent très vite générer des problèmes de trésorerie…

 

3. La désignation du conducteur : comment s’y prendre ?

L’employeur doit dénoncer son salarié et n’a légalement pas d’autres choix.

L’employeur doit donc indiquer :

  • Le nom, prénom et adresse du conducteur
  • son numéro de permis de conduire.

 

Ces informations seront adressées :

  • par courrier en recommandé avec accusé de réception dans un délai de 45 jours,

soit

 

Ce mode d’emploi de la « dénonciation » nous est donné par les articles A 121-1, A 121-2 et A 121-3 du Code de la route.

 

4. Les problèmes juridiques.

La rédaction de cette loi a suscité deux types de problèmes juridiques :

  • un problème d’identification de la personne pénalement responsable
  • un problème d’application de la loi sur le point précis de la désignation.

 

a) problème d’identification de la personne pénalement responsable.

Partons d’un exemple concret :

Monsieur X est le représentant légal d’une société Y.

Cette société Y dispose d’une flotte de véhicule qu’elle met à la disposition de ses salariés.

L’un de ses commerciaux commet une infraction au Code de la route.

L’avis de contravention va donc être envoyé à la société puisque le véhicule est enregistré à son nom.

Monsieur X devra donc désigner la personne à l’origine de cette infraction pour que l’avis de contravention lui soit envoyé et que celle-ci en assume la responsabilité.

Si Monsieur X effectue ces formalités : pas de problème.

Mais s’il ne le fait pas, il se rend alors coupable de l’infraction dite de non-désignation telle que prévue par l’article L 121-6 du Code de la route.

Il n’est donc pas contesté que l’obligation de dénoncer son salarié pèse sur le représentant légal, soit sur Monsieur X.

Elle ne pèse pas sur la société Y .

Cela ressort de la lettre même de l’article L 121-6 qui dit expressément qu’en cas d’infraction,  » le représentant légal de cette personne morale doit indiquer… à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule… »

Il faut bien comprendre ici que X et Y sont des personnes totalement différentes.

Or, il a été dit plus haut que les procès-verbaux pour non-désignation sont souvent envoyés à la société elle-même et non son représentant légal.

Cela permet à l’administration de taxer 5 fois plus puisque dans ce cas le montant de l’amende est quintuplé.

De ce fait, le procès-verbal est envoyé à une personne (la société Y) qui n’est pas tenue de désigner puisque cette obligation pèse sur son représentant légal (Monsieur X).

On incrimine et on verbalise donc une personne qui ne s’est rendue coupable d’aucune infraction.

Lorsque cette loi a été promulguée, de nombreux recours ont été déposés pour solliciter l’annulation du procès-verbal adressé à la personne morale.

Très logiquement, les juridictions ont fait droit à ces recours en relaxant les sociétés de ces poursuites.

Certains Officiers du ministère public décidaient même de classer sans suite ces poursuites avant même qu’elles ne soient audiencées devant le tribunal.

Le problème juridique de cette loi tient donc dans son application puisque l’on a verbalisé une personne pour une infraction qu’elle n’avait pas commise.

Cette question juridique est allée jusque devant la Cour de cassation qui a pris le parti de l’administration.

 

b) un problème d’application de la loi sur le point précis de la désignation.

Un autre problème juridique est apparu et a révélé l’esprit embrouillé de cette loi.

Que faire lorsque le conducteur du véhicule appartement à la société Y est son représentant légal.

Concrètement, le représentant légal ayant commis une infraction au Code de la route avec le véhicule de sa société se contentait de payer l’amende, pensant que cela suffisait.

Quelque temps plus tard, celui-ci recevait alors un autre avis de contravention pour non-désignation…

En effet, le simple paiement de l’amende relative à l’infraction initiale (dans notre exemple, l’excès de vitesse) ne suffit pas à se désigner.

Le représentant légal doit donc payer l’infraction et écrire séparément pour s’auto-désigner.

Il faut le faire !!!

Seul le génie français pouvait imaginer un stratagème pareil…

 

 

5. La position stricte de la Cour de cassation.

Devant l’incohérence de cette loi, bon nombre d’officiers du ministère public ont classé sans suite les dossiers.

Lorsque l’affaire arrivait devant un tribunal, celle-ci finissait très souvent par une relaxe.

La Cour de cassation, saisie de cette question a sifflé la fin de la partie en rendant une série de décisions favorables à l’administration et défavorables aux chefs d’entreprise.

Dans deux arrêts du 11 décembre 2018, la Cour de cassation énonce que l’avis de contravention pour non-désignation peut être envoyé au représentant légal de la personne morale ET à la personne morale elle-même.

Pour lire ces arrêts, cliquez sur les liens qui suivent :

 

La Cour de cassation enfonce le clou quelques jours plus tard dans un second arrêt, où elle affirme que le représentant légal de la société ne doit pas se contenter de payer l’amende relative à l’infraction initiale, mais doit s’auto-dénoncer lorsqu’il est celui qui a commis l’infraction au Code de la route.

Voir : Cour de cassation, arrêt n° 18-82380 du 15 janvier 2019.

 

Depuis lors, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence à diverses reprises.

Il n’est cependant pas acquis que les juridictions du fond suivront toutes cette position sévère qui peut encore changer…

La jurisprudence est en effet riche de revirements en tous sens qui font son intérêt.

 

 

6. Moyens de défense.

Malgré la position défavorable et partisane de la cour de cassation, il subsiste de nombreux moyens de défense.

En voici quelques un.

Exemple 1 : La majoration de l’amende doit être portée à la connaissance du représentant légal de la société.

Si vous recevez une majoration, faites immédiatement un recours.

Si le ministère public ne peut rapporter la preuve de l’envoi de cette majoration, vous serez relaxé.

Pour cela, il faut pouvoir consulter le dossier pénal.

Et seul votre avocat peut demander non seulement à le consulter, mais aussi à en recevoir une copie.

 

Exemple 2 : Si vous exercez une profession libérale en indépendant, ou si vous êtes auto-entrepreneur, vous n’êtes pas tenu par l’article L 121-6 du Code la route.

En effet, la rédaction de cet article ne vise que les personnes morales.

La loi pénale étant d’interprétation stricte, elle ne peut donc s’appliquer à d’autres que des personnes morales.

Il arrive pourtant que des avis de contravention pour non-désignation du conducteur soient envoyés à des personnes exerçant une profession libérale en leur nom propre ou des entreprises individuelles.

Si cela est votre cas, faites un recours en exonération et sollicitez votre relaxe.

Cela est d’autant plus conseillé que la Cour de Cassation a rendu un arrêt le 21 avril 2020 dans lequel elle confirme que les indépendants ne sont pas tenu des obligations de l’article L 121-6.

Pour lire cette décision, suivez ce lien : Cour de Cassation, arrêt n° 530 du 21 avril 2020.

 

 

Exemple 3 : tout avis de contravention est soumis au respect de conditions de forme.

Si l’une d’elles fait défaut, sollicitez l’annulation de cet avis.

 

7. Conclusion.

Le Code de la route et la procédure pénale aboutissent à un télescopage juridique.

Je conseille donc aux chefs d’entreprises de mettre en place une véritable gestion des infractions au Code de la route.

Ils pourront signifier à leurs salariés l’existence de ces règles et leurs conséquences, en les informant qu’une désignation sera systématiquement effectuée.

Cette politique interne pourra figurer :

  • dans le règlement intérieur qui devra être  clairement affiché dans les locaux.
  • dans le contrat de travail.

Peu importe le procédé utilisé, il est nécessaire pour le chef d’entreprise que les choses soient anticipées.

Le droit est souvent plus soucieux des apparences que de la réalité.

Pour s’ajuster le plus à cette dernière, il faut bannir toutes apparences.

Avec l’obligation de dénoncer, le législateur a suscité plus de problèmes qu’il n’a permis d’en résoudre.

C’est la raison pour laquelle il ne faut pas hésiter à faire valoir ses droits devant les juridictions .

Et lorsque l’on se souvient des montants élevés mis à la charge du contribuable pour une infraction qui est bien souvent commise sans mauvaise foi, on mesure la nécessité qu’il y a à se défendre.

 

REINS Didier
Avocat
17d, rue de Molsheim
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Tel : 03 88 32 42 15
Fax : 09 57 20 42 15
Mail : reins.avocat@gmail.com
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