Les limites au droit de communication lors d’un contrôle fiscal.

 

contrôle fiscal fondé sur des documents volés

1. Les données du problème.

L’article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales issu de la loi du 6 décembre 2013 relative à « la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » dispose expressément :

« dans le cadre des procédures prévues au présent titre … ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l’administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance … ,  en application des droits de communications qui lui sont dévolus par d’autres textes… »

Voyez cette disposition ici : article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales

Cette disposition précise l’utilisation qui peut être faite par l’administration fiscale de documents :

  • irrégulièrement obtenus par une personne tierce
  • mais qui lui ont été régulièrement communiqués.

Le passage fondamental de cet article réside dans les cinq mots « au seul motif de leur origine »

Le 4 décembre 2013, le conseil constitutionnel a estimé que cet article est conforme à la constitution à la condition que les documents en question n’aient pas été obtenus illégalement et déclarées comme tels par le juge.

Le conseil constitutionnel énonce expressément :

« considérant que l’article 37 insère dans le livre des procédures fiscales un article L 10–0 AA en vertu duquel les documents, pièces ou informations que l’administration fiscale utilise et qui sont portés à sa connaissance ne peuvent être écartés « au seul motif de leur origine »;

que ces documents, pièces ou informations doivent avoir été régulièrement portées à la connaissance de l’administration…

considérant que, selon les requérants, les dispositions de l’article 37 portent atteinte au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la déclaration de 1789.

Considérant qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquels figure le droit au respect de la vie privée qui découle de l’article 2 la déclaration de 1789 et les droits de la défense, et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle ;

Considérant que les dispositions des articles 37 et 39 sont relatives à l’utilisation des documents, pièces ou informations portées à la connaissance des administrations fiscales ou douanières, dans le cadre des procédures de contrôle à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés ; que si ces documents pièces ou informations ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, ils doivent toutefois avoir été régulièrement portés à la connaissance des administrations fiscales ou douanières, soit dans le cadre du droit de communication prévue, selon le cas par le livre des procédures fiscales ou le code des douanes, soit en application des droits de communication prévue par d’autres textes… ; que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteint aux exigences découlant de l’article 16 de la déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ;

que sous cette réserve, le législateur n’a, en adoptant ces dispositions, ni porté atteinte au droit au respect de la vie privée ni méconnue les droits de la défense ;

considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée, les articles 37 et 39 doivent être déclarés conformes à la constitution »

Pour bien comprendre l’enjeu de cette décision, il faut replacer la disposition en question dans son contexte.

 

2. La loi du 6 décembre 2013 relative « à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ».

La loi du 6 décembre 2013 relative « à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » a été votée à l’initiative de M. Jérôme CAHUZAC qui était particulièrement au fait de tout ce qui touche à la fraude fiscale…

Le conseil constitutionnel peut être saisi afin de vérifier la constitutionnalité d’une loi.

La constitution dresse la liste des règles essentielles au fonctionnement de notre régime.

Le conseil constitutionnel peut ainsi :

  • censurer une loi inconstitutionnelle, ce qui emperchera sa promulgation et/ou son application.
  • interpréter cette loi afin de préciser les conditions d’applications de la loi et la rendre ainsi constitutionnelle.

Cela fait du conseil constitutionnel un « législateur de secours ».

3. Le contrôle fiscal et les pouvoirs de l’administration.

Lors d’un contrôle fiscal, l’administration dispose d’un droit de communication.

Ce droit lui permet de solliciter du contribuable et de personnes tierces (banque, administrations, associations diverses etc.) tous documents nécessaires aux opérations de contrôle.

Ce droit de communication est réglementé par le livre des procédures fiscales et la jurisprudence.

L’administration fiscale ne peut prendre possession de documents n’importe comment.

Cela est une garantie pour le contribuable qui doit pouvoir bénéficier de garanties lors d’un contrôle fiscal.

ATTENTION : il est interdit de refuser de prêter son concours et de conserver des documents sollicités par l’administration fiscale.

Le droit de communication est important pour les agents du trésor public car ils doivent prendre  connaissance des éléments nécessaires au contrôle et au redressement fiscal.

Le conseil constitutionnel devait donc répondre à la question suivante :

  • des opérations de contrôle fiscal peuvent-elles se fonder sur tous documents transmis à l’administration fiscale.

Exemple : des documents volés transmis à l’administration fiscale par lettre anonyme.

L’article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales semble interdire à l’administration l’utilisation de documents qui lui seraient remis et qui ne s’inscriraient pas dans le cadre de l’exercice du droit de communication.

Ainsi, si une entreprise se fait dérober des documents, transmis ultérieurement et  anonymement à l’administration fiscale, celle-ci ne pourra pas s’en servir.

En effet cette transmission de documents volés ne s’exerce pas dans le cadre légal du droit de communication.

Le conseil constitutionnel a rajouté une limite non prévue.

Il a en effet exclue l’utilisation de documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées illégales par le juge.

Exemple : lors d’une enquête pénale, des perquisitions sont effectuées au domicile d’un particulier ou au siège d’une entreprise. Des documents sont saisis et se retrouvent dans le dossier du juge d’instruction. Si le contribuable perquisitionné conteste les conditions dans lesquelles la perquisition s’est opérée, il peut obtenir l’annulation de cette perquisition.

S’il obtient l’annulation de cette perquisition, les documents saisis n’ont plus rien à faire dans le dossier du juge d’instruction.

Si l’administration fiscale, qui peut exercer son droit de communication auprès du juge d’instruction a pris connaissance de ces documents, celle-ci devra tenir compte de l’annulation ultérieurement prononcée et ne devra pas poursuivre ses opérations de contrôle en se fondant sur ces documents illégalement saisis.

La précision est importante pour le contribuable contrôlé par l’administration fiscale.

Celui-ci pourra en effet se défendre en prenant le dossier par son versant pénal lorsque les conditions s’y prêtent.

L’utilisation de documents par l’administration fiscale doit respecter le cadre légal du droit de communication.

La transmission à l’administration fiscale de documents irrégulièrement obtenus ne constitue une communication régulière.

4. Que penser de cette décision du conseil constitutionnel ?

La décision du conseil constitutionnel n’apporte pas grand-chose car l’article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales contenait déjà toutes les réponses.

En effet, cet article précise bien que l’utilisation des pièces mises à la disposition de l’administration fiscale ne peut s’exercer que dans le cadre de l’exercice du droit de communication.

Ce dernier est strictement réglementé par les textes.

Donc de toute façon l’administration fiscale ne pouvait pas en faire ce qu’elle voulait. L’adjonction des cinq mots en question, à savoir « au seul motif de leur origine » était donc inutile.

En effet, les documents exploités par l’administration fiscale dans le cadre de la procédure réglementée qu’est le droit de communication ne peuvent avoir aucune origine illégale.

Le législateur a énoncé des évidences.

Diplomatiquement, le conseil constitutionnel l’a explicité en donnant l’exemple des documents dont l’obtention serait ensuite annulée par un juge.

Il s’agit là d’une décision pleine de tact.

5. Le contrôle fiscal et la transmission de pièces.

On peut envisager différentes hypothèses :

  • si des documents sont régulièrement obtenus et transmis à l’administration fiscale, le contribuable contrôlé ne pourra pas demander à ce qu’ils soient écartés des opérations de contrôle.
  • si des documents sont irrégulièrement obtenus et transmis à l’administration fiscale, le contribuable contrôlé peut déposer plainte pour vol ou détournement, pour ensuite faire écarter des débats les documents transmis à l’administration fiscale.
  • si des documents sont irrégulièrement obtenus et irrégulièrement transmis à l’administration fiscale, ces éléments ne pourront servir un redressement fiscal.

Toutes ces solutions pouvaient déjà se dégager au regard de la jurisprudence antérieure à la loi du 6 décembre 2013.

Moralité : un texte qui n’a pas de sens n’est pas inconstitutionnel.

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